vendredi 28 décembre 2012

Florilège apocalyptique

Syllogismes de l'amertume

(1952)

 
 ~ Réfutation du suicide : n'est-il pas inélégant d'abandonner un monde qui s'est mis si volontiers au service de notre tristesse ?
 
~ La Création fut le premier acte de sabotage.
 
~ Heureux en amour, Adam nous eût épargné l'Histoire.
 
~ Si Noé avait eu le don de lire l'avenir, il n'est point douteux qu'il se fût sabordé.
 
~ Je crois au salut de l'humanité, à l'avenir du cyanure.
 
~ Le spermatozoïde est le bandit à l'état pur.
 
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 Le mauvais démiurge
 
(1969)
 
 
~ Tout enfantement est suspect ; les anges, par bonheur, y sont impropres, la propagation de la vie étant réservée aux déchus. La lèpre est impatiente et avide, elle aime à se répandre.
 
~ Il importe de décourager la génération, la crainte de voir l’humanité s’éteindre n’ayant aucun fondement : quoi qu’il arrive, il y aura partout assez de niais qui ne demanderont qu’à se perpétuer, et, si eux-mêmes finissaient par s’y dérober, on trouvera toujours, pour se dévouer, quelque couple hideux.
 
~ Ce n’est pas tant l’appétit de vivre qu’il s’agit de combattre, que le goût de la « descendance ».
 
~  Les parents, les géniteurs, sont des provocateurs ou des fous. Que le dernier des avortons ait la faculté de donner vie, de « mettre au monde », - existe-t-il rien de plus démoralisant ?
 
~  Les femmes enceintes seront un jour lapidées, l’instinct maternel proscrit, la stérilité réclamée.
 
~ Procréer, c’est aimer le fléau, c’est vouloir l’entretenir et l’augmenter.
 
~ Procréer suppose un égarement sans nom.
 
~ Le dégoût du côté utile de la sexualité, l’horreur de procréer, fait partie de la remise en cause de la Création : à quoi bon multiplier des monstres ? S’il eût triomphé et qu’il fût demeuré fidèle à lui-même, le catharisme eût abouti à un suicide collectif.
 
~ Au concile de 1211 contre les Bogomiles, on anathématisa ceux d'entre eux qui soutenaient que « la femme conçoit dans son ventre par la coopération de Satan, que Satan y séjourne dès lors sans s'en retirer jusqu'à la naissance de l'enfant ». Je n'ose supposer que le Démon puisse s'intéresser à nous au point de nous tenir compagnie durant des mois ; mais je ne saurais douter que nous n'ayons été conçus sous son regard et qu'il n'ait effectivement assisté nos chers géniteurs.
 
~ Concevoir une pensée, une seule et unique pensée, - mais qui mettrait l’univers en pièces.
 
~ La disparition des animaux est un fait d’une gravité sans précédent. Leur bourreau a envahi le paysage ; il n’y a plus de place que pour lui. L’horreur d’apercevoir un homme là où l’on pouvait contempler un cheval !
 
~ La médiocrité de mon chagrin aux enterrements. Impossible de plaindre les défunts ; inversement, toute naissance me jette dans la consternation.
 
~ Il est incompréhensible, il est insensé qu’on puisse montrer un bébé, qu’on exhibe ce désastre virtuel et qu’on s’en réjouisse.
 
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De l'inconvénient d'être né
 
(1973)
 
 
~ Nous   ne   courons   pas   vers   la   mort,   nous   fuyons   la   catastrophe   de   la   naissance,   nous   nous démenons, rescapés qui essaient de l'oublier. La peur de la mort n'est que la projection dans l'avenir d'une peur qui remonte à notre premier instant. Il nous répugne, c'est certain, de traiter la naissance de fléau : ne nous a-t-on pas inculqué qu'elle était le souverain bien, que le pire se situait à la fin et non au début de notre carrière ? Le mal, le vrai mal est pourtant derrière, non devant nous. C'est ce qui a échappé au Christ, c'est ce qu'a saisi le Bouddha : « Si trois choses n'existaient pas dans le monde, ô disciples, le Parfait n'apparaîtrait pas dans le monde... » Et, avant la vieillesse et la mort, il place le fait de naître, source de toutes les infirmités et de tous les désastres.

~ A quel point l'humanité est en régression, rien ne le prouve mieux que l'impossibilité de trouver un seul peuple, une seule tribu, où la naissance provoque encore deuil et lamentation.

~ Jamais à l'aise dans l'immédiat, ne me séduit que ce qui me précède, que ce qui m'éloigne d'ici, les instants sans nombre où je ne fus pas : le non-né.

~ Avoir commis tous les crimes, hormis celui d'être père.

~ A la différence de Job, je n'ai pas maudit le jour de ma naissance ; les autres jours en revanche, je les ai tous couverts d'anathèmes...

~ J'aimerais être libre, éperdument libre. Libre comme un mort-né.

~ La véritable, l'unique malchance : celle de voir le jour. Elle remonte à l'agressivité, au principe d'expansion et de rage logé dans les origines, à l'élan vers le pire qui les secoua.

~ Tout malaise individuel se ramène, en dernière instance, à un malaise cosmogonique, chacune de nos sensations expiant ce forfait de la sensation primordiale, par quoi l'être se glissa hors d'on ne sait où...

~ Il y a dans le fait de naître une telle absence de nécessité, que l'on lorsqu'on y songe un peu plus que de coutume, faute de savoir comment réagir, on s'arrête à un sourire niais.

~ Thraces et Bogomiles — je ne puis oublier que j'ai hanté les mêmes parages qu'eux, ni que les uns pleuraient sur les nouveau-nés et que les autres, pour innocenter Dieu, rendaient Satan responsable de l'infamie de la Création.

~ N'être pas né, rien que d'y songer, quel bonheur, quelle liberté, quel espace !

~ Dans les écrits bouddhiques, il est souvent question de « l'abîme de la naissance ». Elle est bien un abîme, un gouffre, où l'on ne tombe pas, d'où au contraire l'on émerge, au plus grand dam de chacun.

~ En permettant l'homme, la nature a commis beaucoup plus qu'une erreur de calcul : un attentat contre elle-même.

~ Le problème de la responsabilité n'aurait de sens que si on nous avait consulté avant notre naissance et que nous eussions consenti à être précisément celui que nous sommes.

~ Les enfants se retournent, doivent se retourner contre leurs parents, et les parents n'y peuvent rien, car ils sont soumis à une loi qui régit les rapports des vivants en général, à savoir que chacun engendre son propre ennemi.

~ Dans l' « Évangile selon les Égyptiens », Jésus proclame : « Les hommes seront les victimes de la mort, tant que les femmes enfanteront. » Et précise : « Je suis venu détruire les œuvres  de la femme. »

~ Ma vision de l'avenir est si précise que, si j'avais des enfants, je les étranglerais sur l'heure.

~ X soutient que nous sommes au bout d'un « cycle cosmique » et que tout va bientôt craquer. De cela, il ne doute pas un instant. En même temps, il est père de famille, et d'une famille nombreuse. Avec des certitudes comme les siennes, par quelle aberration s'est-il appliqué à jeter dans un monde fichu enfant après enfant ? Si on prévoit la Fin, si on est sûr qu'elle ne tardera pas, si on l'escompte même, autant l'attendre seul. On ne procrée pas à Patmos.

~ J'étais seul dans ce cimetière dominant le village, quand une femme enceinte y entra. J'en sortis aussitôt, pour n'avoir pas à regarder de près cette porteuse de cadavre, ni à ruminer sur le contraste entre un ventre agressif et des tombes effacées, entre une fausse promesse et la fin de toute promesse.

~ Des arbres massacrés. Des maisons surgissent. Des gueules, des gueules partout. L'homme s'étend. L'homme est le cancer de la terre.

~ A quand l'homme qui saura nous défaire de tous les hommes ?

~ On a beau se dire qu'on ne devrait pas dépasser en longévité un mort-né, au lieu de décamper à la première occasion, on s'accroche, avec l'énergie d'un aliéné, à une journée de plus.

~ L'idée qu'il eût mieux valu ne jamais exister est de celles qui rencontrent le plus d'opposition.

~ Naissance et chaîne sont synonymes. Voir le jour, voir des menottes...

~ Ne pas naître est sans contredit la meilleure formule qui soit. Elle n'est malheureusement à la portée de personne.

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Aveux et anathèmes
 
(1987)
 
 
~ Ces enfants dont je n'ai pas voulu, s'ils savaient le bonheur qu'ils me doivent.

~ « Dieu n’a rien créé qui lui soit plus odieux que ce monde et, du jour où il l’a créé, il ne l’a plus regardé, tant il le hait. » Le mystique musulman qui a écrit cela, je ne sais qui il était, j’ignorerai toujours le nom de cet ami.

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Pour se désopiler plus avant
dans la remise en question radicale
de la frénésie fertiliste :
 
Théophile de Giraud : Manifeste anti-nataliste
Roland Jaccard : La tentation nihiliste, et Le cimetière de la morale
Corinne Maier : No kid : quarante raisons de ne pas avoir d’enfant
Michel Tarrier : Faire des enfants tue : éloge de la dénatalité